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Objets, êtres et choses... ressemblances et autres esthétiques

 

     Je me souviens enfant courir pieds nus dans un petit village des Andes vénézuéliennes.

 

    Dans ces forets de culture de café et de bananiers, je marchais sur les petits chemins couverts de feuilles sèches, douces et molles. Les yeux fermés je me sentais sur une peau mouvante d'animal.

Les fleurs de bananiers en forme de toupie, m’évoquaient un animal enrobé dans d'étranges couches de chairs violettes. J'en séparais d'abord une à une chaque lamelle. Puis, délicatement, j'arrachais les rangées de petites fleurs jaunes cachés à l’intérieur pour construire au sol de grandes bouches pleines de dents.

 

    Des petites montagnes de déchets de papier se trouvaient derrière mon école. Je les inspectais fixement, puis je me dépêchais d'ouvrir ces boules froissées et humides. Enthousiaste je découvrais alors des paysages en crayon de couleur. A l’intérieur, des cultures, des oiseaux, des chevaux, des maisons et des hommes. Tous cohabitant au milieu des montagnes vertes et des soleils jaunes. Plus étonnant, des vrais petits cailloux et des graines de toutes les couleurs, venaient border les longs chemins de ces paysages idylliques. Après les avoir soigneusement défroissés, je les rangeais dans mon petit cartable.

 

    Certains jours je me promenais du côté de la rivière. Tout en sautant sur les cailloux, mon regard se concentrait sur le fond. Là, mains dans l'eau, je séparais les matières et récoltais des petites pierres blanches graisseuses.

Sur le bord, quelqu'un avait abandonné une grosse bûche en forme de serpent : une décoration de noël. L'objet couvert en neige en savon, saupoudré de paillettes, portait encore des éclats étincelants de boules multicolores. Si somptueux à mes yeux, il me transportais dans de mondes magnifiques...

 

Installations premières

 

     En décembre, nous aidons nos parents à faire la crèche de Noël.

Des grandes montagnes de papiers froissés, verts et marrons se dressaient jusqu'à la moitié du mur du séjour. Des mousses prises aux hautes montagnes, de couleurs diverses nous servait à fabriquer un grand tapis végétal pour habiller le sol. Des grandes branches d'arbres laissaient pendre de barba viejo1, et tout au-dessus, sur les sommets pailletés nous installions de vrais orchidées en fleur.

Plus bas, d'une petite dalle noire partait une cascade bleu turquoise en plastique bleu effiloché...

Sur le tapis végétal des hommes, des moutons et des chameaux, sur de longs chemins de cailloux peints. Tous en file allaient vers un grand nid en paille, rejoindre un nouveau-né merveilleux...

 

    Quand, le dimanche après-midi je visitais avec ma mère des amis de campagnes lointaines, je laissais les adultes discuter du temps, des cultures de café et de leurs maladies pour aller explorer la maison.

Je cherchais la grande « chambre-séjour » qui accueillait les objets précieux ainsi que les souvenirs de la famille. Pas d'armoires juste des habits suspendus à des cordes, permettant d'imaginer les femmes grassouillettes ou les enfants maigres que les habitaient.

 

Sur l'autel, coulée dans une matière blanche et brillante, la figurine de La vierge Marie tenant l'enfant. Un portrait du Sacre cœur de Jésus2, montrant un organe blessé et entouré par une couronne d’épines, et plus intrigant la statuette longe et fine du miraculeux docteur José Gregorio Hernandez3, habillé en costume noire.

Sur les bords pendaient un rosaire, du rameau bénit, les scapulaires et de colliers en graines de huayuro4, se terminant pour une petite main en pierre de jet. Très efficace contre le mauvais œil. Plus loin, des bouteilles d’alcool, carrées et plates, protégeaient des images en papier introduites à l’intérieur. Ces récipients s’improvisaient cadres photos, pour contempler et garder précieusement ces souvenirs au travers le verre.

 

Comme des organes suspendus !

 

D'un clou rouillé tombaient deux grosses masses de tissu en forme d'amphore. Il s’agissait d'un pollero; un linge déchiré par le milieu dont les extrémités formaient deux sac ovales. Il servait à transporter les courses sur une épaule, tombant en équilibre devant et derrière le corps.

 

Comme des grosses têtes chauves !

 

Sur un mur en terre jaunâtre, on avait accrochait les tatucos, de grosses citrouilles évidées et séchées, utilisées comme contenants lors de cueillettes du café.

 

Aussi des hommes filiformes, tordus, tête en forme de bec interpellaient l'enfant rêveuse que j’étais.

Alignés contre un mur, se tenaient des longs battons en bois appelés des garabatos (perches). Finissant pour une partie plus grosse en forme de bec. Ils servaient à atteindre les fruits de plus hautes branches.

 

Substance ?

 

Derrière la cuisine, sur une grande dalle faisant lavoir, reposait une matière blanchâtre et desséchée. C’était le bagazo, ce qui reste de la canne au sucré une fois passée au trapiche (pressoir).

 

 

Bizarre et familier

 

     En visite chez ma grand-mère, pendant qu'elle me préparait mon mazamorra5, je m'employais à disséquer les espaces de sa cuisine. J'observais le sol, puis arrêtais mon regard sur les grandes corbeilles tressées contenant les bananes. Ces grandes masses déformées et amorphes, rafistolées avec de lianes plus claires. Sur une table, je revois aussi une totuma (calebasse) en forme de poire et à l’intérieur des cuillères grassouillettes et difformes en bois brûlé.

 

Faire

 

     Avec ma mère, nous allions au bord de l’étang chercher du jonc. Elle m'avait montré comme cueillir, sécher et préparer la matière dont nous nous servions pour tresser de nattes. J'avais essayais de créer de poupées. Le résultat en avait été un objet suspect mi- vase mi-homme!

 

A l'école primaire, j'avais appris à faire des titeres (marionnettes) en papier mâché. On fabriquait des diables farfelus : une tête-masque avec de longes cornes, des yeux en bille et un méchant sourire écarlate ou des anges aux visages pâles et aux lèvres bien rouges. Ces derniers étaient couronnés de papier doré et dotés d'ailes en vrai plumes.

 

Hilvanar (enfiler)

 

     Pendant un temps, j'ai accompagnais ma mère à son cours de couture. C'est ainsi que j'ai appris à coudre à la main, ma mère m'en chargeais de hilvanar ses pièces.

Dans l'atelier on me permettait de récupérer les petits bouts restants. Avec ces derniers j'ai commençais à fabriquer de têtes de poupes en satin blanc.

Je découpais et assemblais deux morceaux de tissus, que je remplissais en créant une forme de boule. Je portais grand soin à doter ces dames de belles chevelures. Pour celles-ci je m'appliquais énergiquement à répéter des passages d'aiguille dans le tissu. Avec un peu de maladresse, je créais de grosses surfaces irrégulières de fils, et les belles têtes satines de dames, se transformaient en grosses têtes malmenées et informes...

 

1Tillandsia, plante épiphyte, ressemblant à des longes barbes grises

2Peinture religieuse de l'école portugaise XIX siècle

3Médecin scientifique et religieux vénézuélien. Considéré comme faiseur de miracles

4Fabaceae, graines noires et rouges. Bijoux censé porter chance

5Préparation à base de maïs et du lait.

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